REcherche ET SCÉNARIOS 100% renouvelables

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Répondre de manière pertinente et efficiente aux enjeux et défis énergétiques d’aujourd’hui et de demain, suppose d’anticiper, de se projeter, de modéliser, de comparer afin d’arbitrer entre différents chemins, cela tant au niveau global que local. Cela implique en amont de s’abstraire autant que faire se peut des lobbys ou des idéologies afin de privilégier un pragmatisme raisonné garant entre autres d’une minimisation des déconvenues. Aussi, afin d’aiguiller les décisions du politique, d’instruire et de renseigner le citoyen, d’appuyer certains choix industriels, il est essentiel de faire appel à la recherche scientifique, qu’elle soit universitaire, expérimentale, pilote, prospective ou de terrain. Le secteur de l’Energie impactant néanmoins tous les fondamentaux de notre société et de notre planète, une approche transdisciplinaire est fondamentale, citons notamment l’économie, la physique, l’environnement, le climat et la géopolitique. Dès lors, le nombre de paramètres à considérer en devient exponentiel et les recherches qui les manipulent aboutissent à des orientations ou des conclusions aux accents radicalement différents au risque de créer des écoles de pensée exclusives. Trois axes de recherches orthogonaux ont ainsi pu émerger.  

Celui qui cherche à maintenir, développer, faire perdurer ou survivre les modèles énergétiques existants jusqu’à l’acmé de leur potentiel. Pariant sur les réserves en ressources primaires prouvées, sur l’innovation (hydrogène, fusion), sur le potentiel des fonds marins avec l’exploitation des océans ou de l‘arctique, sur la découverte de stocks ou encore sur la séquestration de Co2, nous sommes dans une forme de Business as usual. Bien qu’il n’ait pas les faveurs médiatiques depuis quelques années, force est de constater que cet axe régit les politiques énergétiques de la quasi-totalité des pays, moins dans les discours ou volontés affichées que dans les faits. Une partie de cette recherche est ici financée par les multinationales (Total, Gazprom, Shell, Aramco, China Energy..). Bien que souvent pointés du doigt par les tenants du changement, avant que de ne s’aventurer à tout jugement définitif, il conviendra d’admettre que ces travaux sont la condition à la continuation d’un ordre international dont nos modes de vie dépendent, pour le meilleur comme pour le pire.  

Un deuxième axe de recherche est celui qui vise à faire coexister et transiter des systèmes de production afin d’aboutir à un « mix énergétique » afin de progressivement basculer vers un monde moins fossile et donc plus neutre en Carbonne. Il s’ensuit un ensemble de scénarios « papier » aux variables ajustables sur lesquels la plupart des acteurs tel les COP, agences environnementales, espaces médiatiques, institutions publiques, représentants politiques se retrouvent et affichent le souhait de promouvoir ou de respecter des objectifs communs trop souvent renvoyés aux Calendes Grecques. Encourager le développement des énergies renouvelables, indexer la part du nucléaire aux besoins tout en tentant de diminuer les hydrocarbures ou le charbon en les réservant uniquement à certains secteurs. Bien que cet axe de recherche se veuille le plus pragmatique, il se confronte à des problématiques de ratios, de déploiement, d’harmonisation, d’entente, de promesses aux contours trop flous pour être engageantes, de réglementations ou d’incitations trop minorées et dispersées pour être contraignantes ou déployables à grande échelle. C’est là tout le revers de l’obtention d’un consensus, il prend un temps considérable lorsque les parties défendent des intérêts divergents. Nonobstant une procrastination parfois décourageante, la démarche n’en reste pas moins aussi méritante qu’essentielle, aucun choix ne sera en effet décisif s’il n’est pas mûri et coordonné au niveau mondial.  

Enfin, existe encore la recherche qui suppose d’aborder la problématique sous un angle plus radical afin de privilégier moins le chemin que le but. C’est le cas des scénarios énergétiques 100% renouvelables (éolien, solaire), qui cherchent à évaluer des solutions énergétiques sans avoir recours aux combustibles fossiles ou au nucléaire, tout en utilisant la biomasse, l’hydroélectricité et la géothermie dans des dynamiques durables.  Ces derniers furent victimes d’un certain scepticisme de la part la communauté scientifique avec pour corollaire une recherche universitaire des plus hésitantes. Les raisons sont justifiées. La radicalité d’une approche est souvent synonyme d’arbitraire ou d’autoritarisme lorsqu’elle est en prise au réel. La volonté de renverser des situations pérennes maximise les risques à court terme et peuvent s’ensuivre des bouleversements et mutations difficilement anticipables voire contreproductifs. Enfin, économiquement, le coût des Enr semblait jusqu’à ces dernières années les condamner à un usage parcimonieux, voire symbolique.

Un récent rapport rédigé par une cohorte de 14 chercheurs spécialistes de la transition énergétique et dirigé par Dr Christian Beyer de l’université de Lappeenranta en Finlande dresse un bilan sur l’état de la recherche concernant des dispositifs d’énergies 100% renouvelables tout en proposant une réflexion autour des principaux reproches adressés à leur encontre. Sans prétendre à la méta analyse, il nous permet d’avoir une vue plus globale et chronologique des orientations qu’elles préconisent et du crédit qui leur est désormais accordé. Il faut noter bien sûr qu’il n’est question ici que de recherches universitaires et de publications d’articles à comité de lecture et donc validés par des pairs.

Il est pointé le fait qu’au cours de ces vingt dernières années la progression des publications a été exponentielle. La COP de Paris, tout comme des mouvements comme Fridays of Future ou Youth of Climate en France (qui sont des grèves étudiantes en faveur de l’action contre le réchauffement climatique) ont exercé des pressions politiques à même de motiver des études sur le sujet du 100% renouvelables, participant ainsi à mobiliser et à financer une recherche jusqu’alors confidentielle. Dernièrement encore, les conséquences de la guerre en Ukraine ont dopé la volonté des états européens d’accroître leur d’indépendance motivant une substitution accélérée des énergies fossiles. Autant de facteurs qui permettent d’accorder crédit et considération à certaines projections qui ne suscitaient jusqu’alors qu’un engouement relatif. On compte aujourd’hui près de 750 articles sur le sujet dont la plupart publiés depuis 2018.

Lorsque l’on cherche à synthétiser les résultats et les modélisations de l’ensemble de ces articles, il apparaît que le solaire et l’éolien sont à la fois un critère d’homogénéité et de différenciation. Homogénéité de par le fait que ces deux types d’énergies supportent à elles deux la plus grande part de la production énergétique, elles représentent en moyenne 75% de la demande totale d’énergie primaire, le reste étant pris en charge par l’hydroélectricité, la biomasse ou la géothermie. Différenciation, car le ratio éolien-solaire, varie d’une étude à l’autre selon les hypothèses de déploiement, les projections de coût et la situation géographique. Majoritairement le solaire reste cependant dominant, représentant 70% du mix énergétique contre 30% pour l’éolien, avec un écart à la moyenne de 10% selon les modèles considérés. Au fil des études, sa part est en constante augmentation en raison de la baisse des coûts du photovoltaïque et du potentiel sous-estimé de son stockage sous forme d’hydrogène amenant à plus de flexibilité dans les usages. Enfin ces dernières années des co-bénéfices des systèmes 100% renouvelables ont pu être clairement identifiés et calculés comme la réduction de la pollution de l’air, du stress hydrique, des niveaux plus élevés de sécurité énergétique – principalement parce que les ressources renouvelables sont abondantes, bien réparties et continuellement renouvelées – ainsi qu’une hausse substantielle des emplois induite par le développement des activités nécessaires au déploiement et à l’entretien de ces énergies.  

Cette étude tente encore d’apporter des réponses et des contre-arguments aux principales critiques adressées aux ER, à savoir : celle d’un EROI (Energy returned On Energy Invested) trop faible et de  coûts prohibitifs, celle de l’intermittence de la production, celle de la demande en matières premières nécessaire à leur mise en place, celle des dommages causés en périphérie de leur utilisation.

Concernant le taux de retour énergétique (EROI), l’étude affirme que celui des énergies fossiles a été très souvent surestimé et qu’une baisse substantielle de ce dernier a été modélisé par de nombreuses recherches pour la décennie à venir, rendant dès lors les EnR beaucoup plus compétitives. Deuxièmement, la comparaison de l’EROI fossiles vs renouvelables aurait souffert dans la littérature de certaines faiblesses méthodologies. Enfin, les EnR ont pu bénéficier ces toutes dernières années d’avancées technologiques majeures, prolongeant leur longévité, améliorant leur efficacité et réduisant leur coût. Un coût qui dépend aussi de la capacité installée cumulée à travers une courbe d’apprentissage, ce qui implique un modèle non linéaire encore fragile de par le manque de données historiques dû à des technologies encore immatures. Tout en prenant appui sur des évolutions exogènes des coûts, lorsque l’apprentissage endogène est inclus, la pénétration de l’énergie éolienne et du solaire photovoltaïque augmente sensiblement et le coût cumulé du système diminue.

Au sujet de l’intermittence, sans nier la complexité inhérente à une recherche de stabilité d’un système soumis à des intrants variables, l’étude s’emploie à rappeler des stratégies trop souvent ignorées : surdimensionnent des capacités solaires et éoliennes, multiplication des interconnexions, progrès dans les batteries et stockages, couplage sectoriel (par exemple en produisant de l’hydrogène au moment où l’énergie est abondante).   

Beaucoup plus nuancées sont les réponses apportées à la critique concernant la demande en matière première que supposerait un système énergétique 100% Enr. En effet plusieurs minéraux ont des disponibilités jugées critiques sur des projections d’un demi-siècle (antimoine, chrome, indium, manganèse, argent, zinc) et le nombre limité de réserves ou ressources disponibles connues à ce jour n’est pas en adéquation avec l’augmentation prévue de la demande. Ainsi, pour le nickel, la demande pourrait atteindre plus de 200% de sa demande en 2020 alors que la réserve actuelle sera épuisée dans 40 ans. Tenter de répondre à ces problématiques suppose des solutions parfois radicales, une économie circulaire très développée avec un recyclage et des taux de collecte démultipliés, la substitution de certains matériaux (par exemple le lithium utilisé dans les batteries par des technologies NA-iom) ou encore l’exploitation des océans pour certaines ressources. Même si un optimisme modéré demeure, le rapport n’hésite pas à qualifier de véritable défi le fait d’assurer la disponibilité des ressources tout en minimisant dans le temps les effets négatifs et les possibles goulots d’étranglement.

Les perturbations et injustices inhérentes à l’utilisation des Enr ne sont pas non plus minorées. Parmi elles, l’utilisation des terres et l’atteinte à la biodiversité avec l’empiétement de sites écologiquement sensibles où faune et flore sont menacées, la production de matériaux toxiques liés à la fabrication (plomb, le lithium, l’étain et le cadmium), la construction de barrages hydro-électriques qui peuvent nécessiter la relocalisation de communautés autochtones ou la déforestation. Autre problématique, celle de la construction de centrales éoliennes qui repose sur des matériaux à forte émission en carbone comme le béton, la fibre de verre ou l’acier avec de nombreuses externalités négatives de fabrication reparties sur toutes la chaine d’approvisionnement, en particulier en Asie. De même l’adoption de l’énergie solaire entraine une contribution croissante aux stocks mondiaux des déchets électroniques, les progrès rapides de la technologie incitant à changer ou à remplacer les installations solaires existantes avant la fin de leur durée de vie utile pour capitaliser sur des systèmes plus performants. De plus, les schémas d’adoption du solaire photovoltaïque ne sont pas uniformes et sont confrontés à des problèmes démographiques et d’équité sociale étant donné que ceux qui disposent du solaire photovoltaïque ont tendance à vivre dans des maisons de plus grande valeur, sont plus instruits, vivent dans des quartiers blancs, sont plus âgés et ont des emplois stables. Cela implique des risques de transfert de richesse entre consommateurs à faible revenu et consommateurs à revenu élevé, étant donné que les tarifs de rachat de l’énergie solaire photovoltaïque sont payés par un prélèvement sur les factures d’énergie de tous les consommateurs.  Enfin des phénomènes de « rebond » où les utilisateurs augmentent la consommation d’énergie après avoir installé le PV solaire ont également été confirmés par des études sur l’Allemagne et Royaume-Uni. Néanmoins, bon nombre de ces problèmes liés à la justice, à l’acceptation par la communauté et à l’utilisation des terres se posent également pour les combustibles fossiles. Comparativement les Enr sont toujours moins nocives que les combustibles fossiles surtout en ce qui concerne la pollution et le changement climatique induisant des externalités négatives bien plus graves et irréversibles. Les énergies renouvelables montrent de nombreux avantages par rapport aux combustibles fossiles en termes de sécurité et de paix internationale, principalement parce que les ressources renouvelables sont abondantes, bien réparties et continuellement renouvelées. S’ajoute à cela que les injustices liées à l’utilisation des combustibles fossiles sont inévitables (rupture de stock, répartition des ressources, augmentation des coûts, émanation de carbone) alors que celles des systèmes 100 % Enr peuvent être planifiées et minimisées, par de meilleures chaines d’approvisionnement, par des modèles de propriété partagée et de responsabilité élargie aux producteurs.   

Après ces réponses apportées aux critiques, l’étude s’attarde sur le rôle du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de l’AIE (agence internationale de l’Energie). Elle dénonce leur inertie institutionnelle avec le manque de prise en considération de scénarios 100% Enr basé d’après l’étude sur le dogme persistant selon lequel la planète ne peut se passer des combustibles fossiles et de l’énergie nucléaire. Depuis 20 ans, L’AIE a constamment failli à projeter le déploiement du solaire du solaire, misant sur une décroissance alors qu’il accélère chaque année de 40%. Même si l’AIE a désormais reconnu que le solaire photovoltaïque est devenu la source d’électricité la moins coûteuse au monde et qu’il le restera dans un avenir prévisible, les scénarios envisagés par l’AIE prévoit que le solaires photovoltaïques ne dépassent pas 630 GW/an alors que des études pour du 100% ENR obligent à produire dans les 2000GW/An d’ici 2030. Cela signifie indirectement plus d’énergie fossile et une demande nucléaire sans précédent avec pour effet délétère une augmentation des couts des énergies renouvelables.  Il en serait de même pour le GIEC. Il n’a été qu’un adepte tardif des scénarios 100% Enr, le premier rapport à les prendre en considération date de 2018, soit 25  ans  après  un rapport dédié  aux 100  % Enr de  deux  organisations  internationales  de  premier  plan. Début 2020, trois études utilisant des méthodes différentes ont conclu  que  le  GIEC  sous-estimait  fortement  l’apport de l’énergie solaire  dans  pratiquement  tous  leurs  scénarios. Cela étant dû  au  fait  que  très  peu  de  modélisations utilisaient  des  hypothèses  plausibles  pour  les  réductions  de  coûts  du  solaire photovoltaïque.

En guise de conclusion, le rapport insiste sur la nécessité de mettre en œuvre les moyens pour relayer les études actuelles au sein des instances précédemment citées afin que ces dernières puissent se baser sur des hypothèses moins datées. Enfin ils pointent quelques limites ou insuffisances méthodologiques concernant les recherches 100% Enr. Sont critiqués la primauté accordée au focus sur la production de l’électricité au détriment de celui de l’industrie, le fort déséquilibre quantitatif des études de cas entre le Nord et le Sud ainsi que l’absence d’un modèle global comparatif des systèmes d’analyse 100% Enr. Palier à ces insuffisances serait le point d’orgue d’une démonstration que le 100% ER est non seulement faisable mais aussi rentable et qu’il se présente en somme, comme le va-tout d’une civilisation durable. Aussi la plus grande qualité de ce rapport est de nous faire saisir que si le 100% Enr ne relève en rien d’une évidence, il n’est pas non plus le fruit de quelques écologistes révolutionnaires en mal de radicalité. La recherche scientifique qui lui est dédiée renforce sa crédibilité, les publications se multiplient et elles sont prolifiques d’analyses et de résultats. Au-delà des querelles de chapelle, afin d’éviter les impasses et sachant qu’un seul essai sera possible face aux défis planétaires, l’écoute se doit d’être la plus inclusive possible afin d’aiguiller aux mieux ces choix énergétiques qui ne seront jamais sans conséquence. Pour paraphraser l’aphorisme churchillien, il est vraisemblable que le chemin emprunté sera sans doute le pire à l’exclusion de tous les autres, aussi, il est de notre responsabilité de prendre en considération tous ceux qui cherchent à l’éclairer en gardant à l’esprit que l’urgence des situations peut parfois requérir l’audace des décisionnaires.


Source :   On the History and Future of 100% Renewable Energy Systems Research