Dilermando Reis est un guitariste et compositeur né à Sao Paulo en 1916, il a étudié la guitare classique avec son père dès son plus jeune âge avant que de ne devenir professionnel à 18 ans et enregistrer son premier album « Noite de Lua » en 41. Au brésil, les préjugés dans ces années-là au regard des guitaristes étaient nombreux, feignants, voyous, mauvaise graine, considérés comme suspects aux yeux du public il n’était pas aisé d’en vivre surtout en tant que guitariste soliste. Malgré cela, un radiodiffuseur le remarqua et, séduit par ses compositions, lui proposa une émission qui fut un succès. Elle participa grandement à changer le regard que portait la société brésilienne sur ses guitaristes et permis de lui faire débuter une carrière de renom.
Les œuvres de Dilermando Reis ont ceci de singulier qu’elles « épousent » la guitare. Il n’est jamais question de démonstration technique, de vitesse acrobatique ou encore de positions de jeu barbares qui contorsionnent les doigts comme pour mieux marquer le regret de n’avoir que six cordes en leur bout. Si la mélodie se détache, pour sonner souvent à vide, les basses sont tenues et d’un point de vue technique, les accords qui en résultent ne défient pas les lois de l’anatomie. Nous sommes bien loin de l’interprétation d’œuvres composées pour piano ou luths transcrits par la suite pour la guitare, il s’agit de pièces écrites par un guitariste pour des guitaristes au service de la guitare. Cela s’entend mais surtout cela se ressent.
Outre leur aspect très chantant, souvent sentimental, nostalgique, les mélodies se distinguent par leur apparente simplicité, un filet harmonieux s’en vient alors à nos oreilles, comme un hommage rendu aux notes de la gamme mineure. Par enchantement, elles révèlent alors tout le potentiel et sublime la nature originelle de l’instrument, à savoir une guitare sans artifices ni fioritures, qui va à l’essentiel dans ses harmonies. Nous aurions pu dire « unplugged » si le terme avait été adéquat à la guitare classique. Curieusement, pour apprécier toute la saveur des titres de Dilermando Reis, il sera déconseillé dans un premier temps d’écouter ses interprétations. Trop de temps a passé, la qualité des enregistrements est navrante et impacte la justesse des notes, enfin le jeu interprété sur des cordes acier rend l’écoute difficile. C’est bien sur des cordes nylon que ses pièces enchanteront l’auditoire. Parmi les enregistrements contemporains les plus remarquables, on peut citer « Se ela perguntar » interprétée ici par le talentueux Matt palmer.
Malgré ses qualités, Dilermando Reis est absent des œuvres recommandées au conservatoire quels que soient les cycles considérés. Pareillement, dans les écoles de musique, peu de professeur l’abordent, et pour cause, la plupart ne semblent pas le connaître ou bien n’en n’ont que vaguement entendu parler. Si l’on s’en tient au même registre, celui des compositeurs d’Amérique latine, Jorge Cardoso, Agustin Barrios Mangoré, Heitor Villa-Lobos ont leur préférence. S’ils sont géniaux, ils n’en restent pas moins plus pointus, moins universels dans leur proposition. Enfin, leurs œuvres majeures (la cathédral de Barrios par exemple) supposent une vie consacrée à l’instrument pour les jouer sans faillir.
Alors que dix ans de pratique suffiraient à pouvoir interpréter correctement la majorité de ses pièces, Dilermando reis semble être tombé dans l’oubli. Pourtant, plus qu’un autre, il pourrait susciter bien des vocations chez les guitaristes en herbe. Dans un registre radicalement différent en termes d’harmonies, le parallèle avec Eric Sati au piano peut nous éclairer. D’où que le l’on vienne, quel que soit notre background musical ou culturel, on ne peut y rester insensible, l’enchaînement des notes résonne alors comme un don qui n’exige aucun mérite en retour. C’est dans ce genre de paysages musicaux où le désir de minimalisme et d’universalisme se veulent les garants de partage et d’accessibilité que ces compositeurs s’inscrivent. Ce genre de performance est si rare en guitare classique soliste qu’il est grand temps de ressusciter Dilermando Reis et de lui donner la place qu’il mérite au sein de tout temple dédié à l’apprentissage de la guitare classique.